C’est à bord d’une automobile que chaque été de mon enfance, j’ai parcouru les différentes régions du Québec et de la côte-est américaine. Nous étions presque toujours en mouvement. Nos journées étaient faites de longues heures de route, parsemées de courts arrêts pour explorer un musée, faire une randonnée dans les bois ou visiter une ferme. Je me souviens, la tête appuyé contre la fenêtre de l’automobile, de contempler la succession des paysages sur notre route : la mer et la rusticité de la côte gaspésienne, les vallées et les villages de la Beauce, sans parler des forêts du Maine, du bord de mer du Massachussetts et des plaines de la Pennsylvanie. Comme pour beaucoup de nord-américains, l’automobile a été pour moi un moyen de « voir du pays » et c’est à travers le prisme du tourisme que j’ai expérimenté différents milieux.
Avant la Deuxième Guerre mondiale, l’automobile devient le moyen de transport privilégié par les touristes pour visiter le Canada, dépassant le train et le bateau. Cette nouvelle manne de touristes « motorisés » provenant des États-Unis recherche une expérience différente du voyage et ses nouveaux besoins réoriente largement l’industrie touristique existante. L’intérêt qu’on leur porte, dès le début des années 1920, se traduit par un vaste travail d’aménagement du réseau routier et la création de nouveaux circuits touristiques.
Ma thèse de doctorat s’intéresse aux différentes manières dont, historiquement, a été perçu l’environnement, en explorant les liens entre le tourisme automobile et les rapports sociaux à la nature de 1920 à 1975. Elle vise à comprendre l’impact d’une « mobilité récréative » sur l’émergence d’une nouvelle compréhension des territoires québécois et ontariens. J’espère mettre à jour le rôle de différents promoteurs (ministères, municipalités, associations d’automobilistes, etc.) qui se sont engagés dans leur mise en tourisme et les moyens déployés, tant du point de vue des représentations que sur le plan matériel.
J’y explore notamment les aménagements du paysage routier ainsi que l’expérience touristique à proprement dite, par le biais des récits de voyage des automobilistes. Comment transforme-t-on les territoires québécois et ontariens au nom du tourisme automobile au cours du XXe siècle? Quels milieux (ruraux, forestiers, etc.) valorise-t-on et dans quels termes? Quel rapport les touristes entretiennent-ils avec les environnements parcourus? Voilà plusieurs questions auxquelles je souhaite répondre.
Les travaux de Richard White et de Linda Nash ont bien montrés en quoi la technologie oriente le regard que l’on porte sur un environnement. Partant du principe que l’automobile est une médiation à travers laquelle se forge le rapport à la nature, j’espère comprendre pourquoi on a autant axé, avant 1975, le développement touristique de l’Ontario et du Québec sur le système automobile. Et pourquoi, l’automobile a longtemps été le moyen favori des touristes (et l’est toujours) afin de parcourir ces deux provinces? Ma recherche est aussi susceptible d’apporter des éléments de réponse aux débats actuels sur le tourisme, qui soulèvent les problèmes de la compatibilité entre la poursuite de l’accessibilité des sites touristiques, de la démocratisation de l’accès à la nature et de la nécessité de protéger les milieux naturels.
Suggestion de lecture : Maude-Emmanuelle Lambert, « Québécoises et Ontariennes en voiture! L’expérience culturelle et spatiale de l’automobile au féminin (1910-1945) », Revue d’histoire de l’Amérique française, 63, 2-3 (automne 2009 – hiver 2010), p. 305-330.
SVP me contacter.
Gilbert Bureau, historien de l’automobile. gbureau@videotron.ca