par Maude Flamand-Hubert. Dans cette chronique, je vous présente la récent livre de Raymonde Beaudoin, La Vie dans les camps de bûcherons au temps de la pitoune, publié chez Septentrion. L’ouvrage de madame Beaudoin révèle en toute simplicité, à travers le vécu de sa propre famille et de leur entourage, la vie dans les chantiers entre 1937 et 1955, dans les régions de Lanaudière, de la Mauricie et des Laurentides. Cet ouvrage est le fruit de plus de vingt ans de travail où se mêlent les démarches historique, ethnographique et artistique. En effet, la famille Beaudoin a tout d’abord produit, au début des années 1980, une pièce de théâtre afin de faire connaître la vie dans les chantiers. Ce qui en fait aussi le charme, c’est la démarche de madame Beaudoin, qu’elle partage avec nous, depuis les incitations de Robert-Lionel Séguin à écrire cette histoire, puis aux recommandations de monsieur Morin, de la Consolidated Paper, de s’adresser à un certain monsieur Roger Beaudoin, qui s’avérait être nul autre que son propre père…
À partir des témoignages qu’elle a récoltés, l’objectif de Raymonde Beaudoin est de rendre hommage à sa famille et à tous ceux qui ont vécu cette époque, à travers un portrait le plus réaliste possible de l’organisation des chantiers et de la vie qu’on y menait. En effet, c’est le souhait de dépasser les archétypes – comme celui du bûcheron portant un petit flacon de gin dans la poche de sa chemise à carreaux – qui a motivé sa démarche documentaire. Madame Beaudoin livre un tableau de la vie dans les chantiers qu’elle situe efficacement dans les grandes étapes qui ont marqué l’exploitation des forêts québécoises : colonisation, migration, essor des pâtes et papiers, évolution des normes de coupe depuis le billot de douze pieds à celui de quatre pieds (la pitoune)… En un mot, une vie quotidienne qu’elle inscrit dans une trame à travers laquelle elle nous présente ses personnages – et témoins –, ce qui permet d’en suivre facilement le récit. Raymonde Beaudoin passe en revue la majorité des thèmes classiques associés à la vie dans les chantiers : description du campement (depuis la construction à son aménagement), du matériel et des outils utilisés, de la nourriture, des principales activités marquées par le rythme des saisons (la coupe, le « charroyage », la drave), sans oublier les traditionnelles veillées. Mais il est vrai qu’elle apporte des descriptions particulièrement détaillées et précises de certains éléments, comme le glaçage des chemins, incluant comment on faisait pour remplir le tank, ou encore l’ouverture des barrages au début de la drave. Plusieurs anecdotes viennent agrémenter le propos général et mettre à l’avant-plan les hommes et les femmes dont elle nous parle. Elle présente également en annexe quelques documents comme des chants, menus et recettes, ainsi qu’un lexique des termes couramment employés dans les chantiers. Concernant plus particulièrement ce dernier point, il est agréable de suivre dans le texte l’utilisation des termes et leur définition, rendant ce langage vivant et évitant d’avoir à se référer constamment au lexique.
Je n’irais peut-être pas jusqu’à dire (ou du moins à confirmer!), comme on présente le livre, qu’il s’agit du « premier document entièrement consacré à la vie quotidienne dans les chantiers, au-delà des préjugés et des légendes », puisque certains sont déjà parus (et plus récemment quelques DVD), mais il est vrai que celui-ci révèle une multitude de détails qui piquent la curiosité. Il contient également une grande quantité de très belles photos. Plus largement, cet ouvrage m’a menée à me questionner sur ce genre de littérature ethnographique d’une richesse documentaire livrée en toute simplicité, et dont les chercheurs universitaires peuvent parfois être jaloux. Pour une historienne qui travaille sur les représentations, la question du « réalisme » de ces récits éveille toujours un soupçon d’incrédulité. Jusqu’à quel point la mémoire – que l’on présume toujours sélective – peut-elle être garante du réalisme tant recherché? Mais peu importe la réponse à cette question, les ouvrages de ce genre sont toujours une fenêtre ouverte sur une histoire vivante, portée par des gens dont je crois qu’il faut souligner l’engagement. On peut seulement espérer que d’autres personnes seront tentées d’entreprendre de telles démarches pour nous faire connaître d’autres périodes, d’autres métiers, qui ont marqué notre histoire de l’exploitation des ressources naturelles.
Maude Flamand-Hubert
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J’aime beaucoup votre réflexion sur la littérature ethnographique et la recension d’ouvrages de vulgarisation. Il est vrai que l’on ne peut faire la critique d’une oeuvre de vulgarisation comme on peut le faire d’un ouvrage scientifique. Les critères de la critique doivent être différents, car la démarche n’est pas la même dans la recherche, l’écriture et l’organisation de la matière.
Merci Yves pour ton commentaire. Selon moi, il y de l’espace pour toute sorte de production en histoire. Chacun révèle des regards différents sur notre relation à l’histoire et au passé. Pour mon mémoire de maîtrise, mon point de départ était une série d’ouvrages écrits par Robert Michaud sur L’Isle-Verte. Je trouve très inspirant de mettre en relation la recherche universitaire et la production historique locale.