De retour de la Canadian History and Environnement Summer School (CHESS), qui avait lieu à Toronto du 23 au 25 mai derniers, sous le thème « Suburbia and Environmental History». Mon commentaire sur cette fin de semaine bien remplie en conférences et visites de terrain pourra paraître un peu élémentaire. Par chance, vous aurez aussi la chance de pouvoir lire les réflexions d’Harold Bérubé, et d’autres collègues anglophones beaucoup plus outillés que moi pour discuter des enjeux reliés à la banlieue. Comme chercheuse plutôt intéressée aux grandes étendues forestières et résidant dans une ville qui n’atteint pas les 50 000 habitants, la banlieue torontoise s’est présentée comme un milieu riche en découvertes et en étonnements. Nous avons parcouru la banlieue torontoise – du moins une partie – accompagnés par les meilleurs guides que l’on pouvait espérer avoir pour réfléchir sur la banlieue comme environnement investi et transformé par l’homme. Une des principales préoccupations reliées à la banlieue est certainement celle de l’étalement et, par conséquent, des problèmes qui peuvent en découler. Les répercussions de l’étalement de la banlieue sur l’environnement naturel ont donc été au cœur des discussions. Ces répercussions sont parfois visibles – la présence des grandes autoroutes est certainement un des faits les plus marquants –, mais elles sont aussi parfois camouflées suivant des aménagements ingénieux – qui se doute de marcher sur un pipeline en plein parc naturel.
Quelle doit être la place accordée à la protection des milieux naturels en milieu urbain, et quelles sont les fonctions, écologiques et sociales, de ces espaces? À Toronto, la question a été introduite avec le cas de la Oak Ridges Moraine, véritable « ceinture verte » s’imposant dans le paysage habité torontois, qui nous a été présenté par le professeur Anders Sandberg. Les fonctions hydrologiques de la moraine sont reconnues et engagent sur la voie des enjeux concernant l’approvisionnement des centres urbains en eau potable. Si l’on en revendique aujourd’hui la protection, la moraine cache aussi sous des aménagements verts – dont un terrain de golf – les années durant lesquelles elle a servi de lieu d’enfouissement. L’intégration, par exemple, d’une agriculture de proximité se pose également avec la préservation de milieux agricoles à l’intérieur des banlieues. Sans oublier de prendre en considération que tous ces milieux se trouvent cependant, dans une large portion, constitués en propriétés privées. De tels lieux posent la question plus générale de la limite acceptable à l’étalement et de la capacité d’organisation de ces espaces à haute densité de population. Jusqu’où la ville peut-elle s’étaler? Comment assurer, dans une société de droit, un accès égalitaire d’une part à la propriété, et d’autre part à un environnement globalement sain?
On a ensuite pu constater, avec la visite d’une partie du Rouge Park, de la complexité que peut poser l’intégration des espaces naturels dans les milieux urbains. Qu’il s’agisse de la présence de voies de transport énergétique, tels que lignes électriques ou pipelines ou, plus subtilement, de la présence de plantes envahissantes introduites en raison des activités humaines – comme le cynanche ou dog strangler vine, étudié par Cate Sandilands –, ces espaces obligent à repenser notre conception de la nature. Le Rouge Park a la particularité d’être voué à devenir, d’ici peu, le premier parc urbain administré par Parcs Canada. Une initiative qui marque un changement dans les pratiques traditionnelles de l’agence gouvernementale, généralement orientées vers la protection de vastes espaces inhabités – du moins pour le volet de ses activités orienté vers les espaces naturels. Si on rejette cette fois les expropriations comme impératif à la protection des lieux, et que la démarche de création du parc s’est déroulée suivant un processus de consultation et de collaboration avec le public et les populations déjà engagées dans la protection de ce milieu, seule l’expérience démontrera plus tard si nous sommes en train d’assister à une transformation des pratiques et une redéfinition des approches de conservation des milieux dits naturels.
Pour moi, le plus surprenant a peut-être été la visite des secteurs de Don Valley et Don Mills. Ils sont venus bousculer les stéréotypes de la banlieue individualisante et dépersonnalisée. Richard White et Jennifer Bonnell nous ont entraînés dans cette banlieue héritée des années 1950, véritable construction représentative de l’Amérique d’après-guerre. Au-delà des autoroutes et des superficialités commerciales de la banlieue, on découvre des initiatives d’aménagement qui mettent en perspective les moyens imaginés pour créer des milieux de vie sécuritaires organisés autour du principe de l’accès à certains services – écoles, parcs –, et à la consommation, avec son traditionnel centre d’achat. Bien que l’idée selon laquelle la construction de ces quartiers autour d’une industrie permettrait un taux de taxation peu élevé s’est rapidement révélée infructueuse, le modèle d’aménagement révèle une conception de la planification spatiale soucieuse des rapports sociaux. Mais c’est peut-être le propos de Christopher Sellers qui est venu ébranler le plus cette idée de la banlieue comme mode d’habitation conçu uniquement à travers le prisme de l’étalement, et de ce fait nécessairement en contradiction avec l’idée de milieu naturel. Le développement de la banlieue, paradoxalement, aurait été un lieu de rencontre entre les populations et la nature. Les habitants des banlieues ont ainsi développé un attachement et une sensibilité aux caractéristiques naturelles de leur milieu de vie, en faisant des observateurs directs et privilégiés des problèmes de pollution ou de destruction des espaces de nature, puis les conduisant à se porter à leur défense. La banlieue devient du coup un lieu d’émergence de l’environnementalisme en Amérique du Nord. Néanmoins, comme ont tôt fait de nous le rappeler Amanda Robinson et Steve Penfold, la banlieue demeure liée au large phénomène de la consommation de masse avec une de ses manifestations les plus efficaces au XXe siècle : l’automobile. L’automobile, qui demande des aménagements, qui transforme le paysage, mais également notre mode de vie et nos rapports sociaux.
Enfin, une fin de semaine qui permet de se questionner sur le récit qui se construit à propos de la banlieue lorsque celle-ci passe à travers le filtre de l’histoire de l’environnement. Et plus personnellement, sur la route du retour vers Rimouski, le simple constat que le phénomène banlieusard recèle des réalités multiples, diversifiées. Mais aussi une occasion de constater qu’en matière d’étalement, pour le moment, on ne peut pas dire qu’on semble beaucoup avoir appris des expériences passées. Le passage par l’extension spatiale, même en contexte de faible densité, est-il inévitable?
Merci aux organisateurs de la Canadian History and Environnement Summer School (CHESS) 2014, et à tous ceux qui ont participé à l’événement! Les détails de la programmation sont toujours disponibles sur la page officielle de l’événement.
Maude Flamand-Hubert
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