Ce blog a été initialement publié sur Le blogue de Bibliothèque et Archives Canada. Lire la version anglaise ici.
Nous établissons des liens surprenants tout le long de notre vie. Des choses que nous pensions confinées à notre travail ou à nos cercles sociaux surviennent de manière inattendue dans d’autres sphères. De mon côté, plusieurs longs voyages en voiture avec mon mari en direction du nord de l’Ontario m’ont menée à en apprendre plus sur le camp d’internement de Kapuskasing. Peu de personnes savent qu’il y avait des camps d’internement au Canada pendant les deux guerres mondiales. Et peu encore savent que ces camps n’étaient pas tous destinés aux prisonniers de guerre : plusieurs d’entre eux séquestraient des civils canadiens de nationalité dite « ennemie ».
Le camp de Kapuskasing a été actif du début de la Première Guerre mondiale, en 1914, jusqu’en 1920. On y confinait surtout des civils de nationalité ukrainienne. Ceux-ci étaient condamnés aux travaux forcés, construisant entre autres des bâtiments et rasant plusieurs hectares de forêts environnantes afin que le gouvernement puisse y établir une ferme expérimentale.

Mon travail comme archiviste de référence m’a permis de creuser un peu plus dans les ressources de Bibliothèque et Archives Canada afin d’en apprendre davantage sur cette période sordide de l’histoire canadienne. J’ai ainsi retrouvé les documents de William Doskoch, né le 5 avril 1893 à Laza, en Galicie, un territoire de l’empire austro-hongrois qui appartient aujourd’hui à l’Ukraine.
En 1910, à l’âge de 17 ans, William Doskoch rejoint son frère au Canada pour travailler dans les mines de charbon de Nanaimo, en Colombie-Britannique. Alors qu’il est de passage à Vancouver en 1915, il se fait arrêter, étant considéré comme un ennemi de la nation. Il sera enfermé dans plusieurs camps d’internement : d’abord au camp de Morrissey, puis à celui de Mara Lake, et ensuite au camp de Vernon, avant d’être finalement transféré à Kapuskasing. C’est de là qu’il fut libéré cinq ans plus tard, le 9 janvier 1920.
Le fonds d’archives de William Doskoch est riche en ressources qui nous permettent de comprendre les camps d’internement selon la perspective d’une personne internée. Bien qu’on y trouve de l’information sur plusieurs camps, je m’intéressais surtout à ses notes sur Kapuskasing. Selon ces écrits, les conditions y étaient similaires à celles du camp de Vernon : maltraitance des prisonniers, exécutions aléatoires, plusieurs cas de tuberculose, et conditions d’internement inadéquates pour les températures froides.

J’ai aussi retrouvé une lettre écrite par George Macoun, garde au camp de Kapuskasing, qui relatait des événements survenus au camp entre novembre 1917 et l’été 1919. Bien que de moindre ampleur que le fonds William Doskoch, elle nous offre un aperçu assez rare de l’expérience d’un garde dans un camp d’internement.

Originaire d’Irlande, George Macoun immigre au Canada, où il se joint à la milice en février 1915. C’est ainsi qu’il en vient à prendre part aux opérations au camp d’internement de Kapuskasing. Il rédige cette lettre quelque temps après la fin de la guerre, après avoir été démis de ses fonctions comme garde. Un peu comme il le ferait dans des mémoires, il se remémore les expériences marquantes de son temps à Kapuskasing, entre autres les conflits et les tensions qui régnaient parmi les gardes en raison d’abus de pouvoir. Il raconte :
« Un petit incident est survenu en mars 1918 qui a soulevé la colère de l’ensemble du bataillon contre ce commandant, en raison de la manière absolument irrégulière, selon les procédures militaires, dont un cas fut géré. Lors d’une soirée dans la salle de loisirs, quelque temps pendant la dernière semaine de février 1918, un certain caporal, un des hommes les plus populaires de la garde, a eu le malheur de se saouler et de faire du tapage pendant la nuit, non seulement dans sa chambre, mais aussi dans une autre chambre. Cette information a été transmise par un mouchard à l’O.C. [officier commandant] bien connu, à peu près deux semaines plus tard, quand des accusations ont été portées contre le caporal. »
Le fonds du Secrétariat d’État du Canada regorge également d’information. On y trouve notamment une sous-série intitulée Documents touchant le Bureau du séquestre des biens ennemis et les opérations d’internement, couvrant la période de 1914 à 1951 (R174-59-6-F, RG6-H-1). Pendant les deux guerres mondiales, le Secrétariat d’État s’occupait entre autres des affaires découlant des opérations d’internement. Toutefois, certaines activités, comme celles touchant la gestion des propriétés des internés confisquées par l’État, ont éventuellement été transférées à d’autres ministères au fil des années. On y retrouve quand même de la documentation sur les certificats de libération des camps d’internement, ainsi que sur l’administration des camps. Les boîtes 760 à 765 inclusivement contiennent des documents relatifs aux opérations du camp de Kapuskasing.
Puisque l’information abonde, je m’attarderai seulement à quelques éléments intéressants pour Kapuskasing. Par exemple :
- Selon la correspondance du directeur des opérations d’internement, la ferme expérimentale construite par les prisonniers de Kapuskasing a été achevée au début décembre 1917.
- Selon les statistiques de décembre 1918, le camp détenait les prisonniers suivants : 607 Allemands, 371 Autrichiens, 7 Turcs, 5 Bulgares et 6 prisonniers « autres ». Une note suggère que la classification « autres » servait à désigner des prisonniers de guerre, mais ce n’est pas clair.
- Plusieurs lettres écrites par des prisonniers à des membres de leur famille étaient censurées. C’est le cas des missives qu’Adolf Hundt envoyait à sa femme. Découragé par l’ampleur de la censure, il a renoncé à lui écrire, menant son épouse à s’inquiéter pour sa santé.
Ce billet de blogue vous a présenté un aperçu des renseignements qu’on peut dénicher sur le camp de Kapuskasing dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada. Celle-ci offre un immense potentiel pour mieux comprendre ce moment sordide de l’histoire canadienne. Nous avons donc créé un guide de recherche sur les camps d’internement au Canada pendant les deux guerres mondiales, qui m’a beaucoup servi dans la rédaction de ce billet de blogue.
Pour consulter le guide, suivez ce lien :
- Guides de recherche thématique sur les camps d’internement
Ariane Gauthier
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