Mes recherches portent sur la construction historique des représentations de la forêt québécoise. Ces représentations apparaissent être le produit de la rencontre, et parfois du choc, entre différentes formes de discours : économique, scientifique, imaginaire… C’est cette tension que je souhaite étudier et son incidence sur la gestion forestière.
Depuis le tournant des années 2000, dans un climat de crise aussi bien économique qu’écologique, un débat social est engagé concernant la gestion des forêts québécoises. On peut ici rappeler quelques événements : en 1999, l’auteur-compositeur Richard Desjardins et le cinéaste Robert Monderie réalisent un film sur les méthodes d’exploitation de la forêt au Québec, L’erreur boréale. Certains diront que L’erreur boréale a permis de mettre au jour les pratiques catastrophiques en matière de récolte des forêts, alors que d’autres contesteront en affirmant que l’angle d’approche est biaisé par le parti pris des réalisateurs. Notre objectif n’est pas de trancher sur cette question, mais plutôt de nous pencher sur le phénomène social qui a émergé à la suite de la parution du film. En effet, force est de constater que L’Erreur boréale a eu des impacts importants sur le système forestier québécois en projetant le débat sur la place publique. En 2002, un rapport du Vérificateur général du Québec vient appuyer les craintes véhiculées dans l’univers médiatique. Puis le gouvernement québécois met sur pied en octobre 2003 la Commission d’études sur la gestion des forêts québécoises (dite aussi Commission Coulombe). En décembre 2004, la Commission déposait un rapport assorti d’une série de recommandations. La réponse gouvernementale sera d’entreprendre une refonte de son régime forestier, culminant avec la publication d’un Livre vert en février 2008. La réforme en cours doit se finaliser en 2013 avec l’adoption de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier.
Dans ce débat public, les enjeux demeurent surdéterminés par les intérêts économiques et scientifiques. Les aspects culturels ou identitaires de la question sont généralement relégués à l’arrière-scène sinon instrumentalisés au profit d’un argumentaire économique ou écologique. Pourtant, aux côtés de ces représentations dominantes, qui se veulent objectives, existe un discours empreint d’imaginaire. Il n’y a qu’à évoquer les propos du premier ministre du Québec, M. Jean Charest, livrés en introduction du dernier Livre vert sur la forêt québécoise :
La forêt fait partie de ce que nous sommes. Nos premières entreprises étaient forestières et, de génération en génération, dans presque toutes nos régions, la vie quotidienne a été réglée par la forêt. Nous sommes un peuple forestier. Le défi que nous avons maintenant est de faire en sorte que cette forêt, si puissamment associée à notre passé, puisse être tout autant associée à notre avenir.
L’évocation des « racines » forestières communes trouverait ses origines dans l’histoire de la colonisation du territoire et des multiples utilisations de la forêt. Cet imaginaire forestier émanant du passé peut emprunter de multiples formes et s’allier à une variété de valeurs. Mais ces référents historiques, presque mythiques, peuvent également se transformer en arguments employés au service d’intérêts économiques ou écologiques, selon que la forêt est perçue comme une ressource naturelle ou comme un écosystème.
Dans le cadre de ma recherche, je m’intéresse aux représentations de la forêt québécoise. Il existe en effet au Québec une façon d’appréhender la diversité forestière à travers le prisme de son unicité, de cette vaste étendue qui constitue un des fondements du patrimoine historique national. Une meilleure connaissance de la construction historique de ces représentations contribuerait à la compréhension de leur appropriation par les différents groupes sociaux et à leur récupération dans les débats idéologiques qui entourent actuellement la gestion des forêts. Dans cette optique, nous empruntons à l’historien Roger Chartier sa définition des représentations, faisant de ces dernières des référentiels collectifs intériorisés. Les représentations sont devenues l’élément central des rapports de domination contemporains, en ce sens que les conflits entre groupes sont le fait d’une lutte symbolique opposant des images socialement construites. Je m’intéresse donc à la forêt comprise comme une construction sociale aux multiples facettes; facettes qui entrent parfois (voire souvent…) en conflit, à l’image des différents groupes sociaux qui sont à la source de ces images divergentes. Mais la compréhension de ces représentations n’est pas simple, car elle appelle à une mise en relation de différentes sources d’information à travers lesquelles les représentations sont véhiculées. Elle demande aussi de s’intéresser aux individus qui sont à l’origine de la production et de la communication de ces représentations. Je tenterai de répondre à ces interrogations en interrogeant la production des discours sur la forêt au cours du 20e siècle, à travers les politiques publiques, les textes littéraires et les journaux.
Mes recherches sont codirigées par Nathalie Lewis, sociologue de l’environnement au département Sociétés, Territoires et Développement à l’Université du Québec à Rimouski, et par Andrée Corvol, spécialiste de l’histoire des forêts à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine et directrice du Groupe d’histoire des forêts françaises (GHFF). C’est en jumelant ces deux approches, sociologique et historique, de même qu’en liant le cas québécois aux expériences de gestion européenne que j’espère contribuer à une meilleure compréhension de notre rapport au milieu forestier.
Maude Flamand-Hubert
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