Sur les traces de Wallace : une mise à jour des grandes régions zoogéographiques mondiales

Malagasy rainbow frog. Photo: G Sunter, Zoological Society of London.

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Maude Flamand-Hubert et Jean-Philippe Lessard

Jean-Philippe Lessard est présentement chercheur postdoctoral au Centre de la science de la biodiversité du Québec. À l’automne 2014, il occupera un poste d’assistant professeur à l’Université Concordia (http://biology.concordia.ca/faculty-and-research/full-time-faculty/jeanphilippe-lessard/). Il effectue un retour au Québec après plusieurs années passées à l’étranger, tout d’abord pour réaliser un doctorat à l’Université du Tennessee en écologie et biologie évolutive. Il a ensuite séjourné à Copenhagen au Danemark où il a poursuivi ses études postdoctorales.

En janvier 2013, il publiait en équipe un article exposant les résultats d’une vaste recherche qui a permis une actualisation de la cartographie des grandes régions zoologiques mondiales. Cette nouvelle cartographie a la particularité de combiner les données phylogénétiques – c’est-à-dire prenant en considération la formation et l’évolution des espèces animales et végétales afin d’établir leur parenté – de 21 037 espèces d’amphibiens, d’oiseaux et de mammifères terrestres. Cette méthode se distingue des approches traditionnelles de la biogéographie, qui se concentre sur la distribution des espèces, sans nécessairement s’attarder à leurs relations évolutives et historiques.

World map from The Geographical Distribution of Animals showing Wallace's six biogeographical regions. Source: Wikipedia
World map from The Geographical Distribution of Animals showing Wallace’s six biogeographical regions. Source: Wikipedia

Cette mise à jour de la cartographie des grandes régions zoographiques n’est pas anodine. La première cartographie mondiale des grandes régions zoographiques terrestres a été réalisée par Russel Wallace en 1876, posant les bases de la biogéographie moderne. D’ailleurs, Wallace est considéré comme le père de la biogéographie historique, en tentant le premier de retracer l’histoire des peuplements à l’échelle de la planète sur une base théorique évolutive de la répartition des espèces. La carte de Wallace est encore utilisée aujourd’hui. Avec les connaissances disponibles à l’époque, soit essentiellement les relations taxonomiques et la distribution dans l’espace des grandes familles de vertébrés, Wallace a divisé la planète en six grandes régions zoographiques, qui correspondent approximativement aux plaques continentales. Une des grandes découvertes de Wallace a été l’identification d’une discontinuité géographique dans la composition de la faune entre l’Asie et l’Australie, nommée en son honneur « la ligne de Wallace », établissant une frontière théorique entre le royaume biogéographique orientale et du royaume océanien. Malgré leur proximité, Wallace observait des différences significatives entre les espèces de part et d’autre de cette ligne, supposant des trajectoires évolutives distinctes. La position exacte de cette ligne a soulevé beaucoup de débats au fil du temps. À la ligne de Wallace, basée principalement sur les espèces de mammifères, est venue s’ajouter celle de Weber, basée sur les espèces de poisson.

Malagasy rainbow frog.  Considered as "being among the rarest and most remarkable amphibians" on the planet by the Zoological Society of London. Found only in the "Madagascan" realm. Photo: G Sunter, Zoological Society of London.
Malagasy rainbow frog. Considered as “being among the rarest and most remarkable amphibians” on the planet by the Zoological Society of London. Found only in the “Madagascan” realm. Photo: G Sunter, Zoological Society of London.

Les nouvelles données, quant à elles, apportent des informations qui permettent de distinguer des moments clés ou des épisodes majeurs dans la diversification, l’évolution et la répartition des espèces, selon qu’il s’agisse d’amphibiens, d’oiseaux ou de mammifères. Ces données conduisent vers de nouvelles hypothèses sur la capacité de dispersion et de renouvellement des espèces ainsi que sur leur sensibilité aux modifications de leur environnement. Avec le développement de la phylogénétique et des modèles statistiques, les recherches ont permis une caractérisation plus précise des espèces et de leur répartition sur la planète. Si les nouvelles informations disponibles conservent certaines similarités avec celles de Wallace, elles entraînent aussi une révision et un redécoupage de certaines limites biogéographiques. Par exemple, l’Australie, le Madagascar et l’Amérique du Sud comportent des assemblages à caractère phylogénétique uniques. C’est-à-dire que ces assemblages fauniques sont caractérisés par plusieurs grandes familles animales qui ne se trouvent dans très peu d’autres endroits ou même nulle part ailleurs sur la planète. Ou encore, on a identifié des associations phylogénétiques qui redéfinissent les relations entre la zone paléartique et néartiques. En effet, certaines régions de la Sibérie de l’Est et de la Sibérie centrale connaissent des similarités plus grandes avec la partie arctique de la zone néartique qu’avec d’autres parties de la zone paléartiques. Outre une plus grande stabilité climatique au sud pouvant expliquer un taux plus élevé de survivance des espèces ou même de certaines familles animales, une caractéristique particulière à cet hémisphère semble être l’isolement sur une longue période de temps, qui aurait limité la dispersion des espèces, laissant une empreinte phylogénétique permanente dans leur composition. Au nord, la nouvelle définition de la frontière zoogéographique paléarctique permet de présumer la présence continue de zones de toundra non glaciaire dans l’est de la Sibérie et la Béringie. La plus faible diversité phylogénétique au nord pourrait être le résultat d’un haut degré d’interrelation entre les espèces sur un vaste espace.

Le travail effectué a permis d’identifier vingt régions zoogéographiques, regroupées en onze grands royaumes – comparativement aux six qu’avait trouvés Wallace. L’importance de l’enquête a également permis de mettre à jour ces données et de démontrer que le renouvellement de la composition phylogénétique des vertébrés est plus grand dans l’hémisphère sud que dans l’hémisphère nord. De plus, l’intégration de données phylogénétique fournit un aperçu appréciable des relations historiques entre les régions, permettant ainsi l’identification de régions évolutives uniques au monde. Les régions biogéographiques et bioclimatiques sont des unités de comparaison fondamentales et sont un outil important pour la planification de la conservation des espèces. Ce large aperçu de la distribution planétaire des espèces d’amphibiens, d’oiseaux et de mammifères terrestres, fournit aux chercheurs de précieuses précisions quant à l’identification et la compréhension de zones évolutives distinctes et possédant des profils historiques qui leur sont propres. La mise à jour cartographique reflète les avancées réalisées au cours des dernières décennies sur nos connaissances concernant les données phylogénétiques et pourra contribuer à élucider les circonstances historiques qui ont participé à la formation des régions biogéographiques et à la biodiversité biologique mondiale que nous connaissons aujourd’hui.

Rédigé en collaboration avec Jean-Philippe Lessard.

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Maude Flamand-Hubert

Je suis professeure adjointe en politiques appliquées à la forêt privée à la faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval. J'ai soutenu en 2017 ma thèse de doctorat, intitulée "La forêt québécoise dans la première moitié du XXe siècle : représentations politiques et littéraires" (cotutelle en développement régional à l'Université du Québec à Rimouski (UQAR) et en histoire à Sorbonne Paris-IV). Mes intérêts de recherche portent sur l'exploitation des ressources naturelles et les politiques publiques, l'histoire forestière, régionale et environnementale, le Québec au XIXe et XXe siècle, les représentations de la forêt et des milieux forestiers.

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