Bilan du Congrès de l’Institut d’histoire de l’Amérique française

Vue automnale sur Rimouski / Maude Flamand-Hubert

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C’est avec un peu de retard que je vous offre aujourd’hui un petit bilan des sessions en histoire environnementale qui ont eu lieu lors du Congrès de l’Institut d’histoire de l’Amérique française. Le 12 octobre dernier à Rimouski, nous avons sans contredit eu droit à deux excellentes séances portant sur des thématiques environnementales, tant grâce à la qualité des communications présentées qu’aux échanges qu’elles ont générés.

La journée a débuté avec une séance intitulée « Ressources naturelles, conservation et accès au territoire ». Les trois communications qui y étaient présentées soulevaient la question de l’appropriation des territoires et de leur délimitation à des fins de protection et de conservation, selon des objectifs dictés par des logiques propres à chacun des cas, mais qui ont en commun de limiter l’accessibilité aux territoires et les usages à l’intérieur de ceux-ci. Qu’il s’agisse des clubs de chasse et de pêche durant la première moitié du XXe siècle, du parc national de Forillon depuis 1970, ou de la protection écologique des propriétés privées à partir des années 1980, on assiste à la mise en œuvre de mécanismes de planification, d’organisation et de codification, qui aiguillent les rapports à l’environnement et qui ont pour conséquence de privilégier certains groupes et d’en défavoriser d’autres. Gaston Côté proposait une analyse discursive des inégalités, en comparant les succès de chasse au gros gibier entre les clubs propriétaires de territoires de grande dimension, loués à fort prix à une clientèle aisée, en regard du taux de capture chez les populations locales plus modestes, restreintes à la location de petites superficies. Si la raison première de la mise en place des clubs privés de chasse et de pêche était de favoriser la protection de la faune en faisant diminuer la pression de chasse sur le gibier, la superficie accordée entraîne dans son sillage une série d’implications qui s’ajoutent à l’exiguïté du territoire. La stabilité dans le temps des locataires et la quantité des investissements en infrastructures, par exemple, en sont les corollaires. Guillaume Blanc nous a entraînés sur les traces du façonnement matériel, institutionnel et symbolique du parc Forillon. Il a mis en évidence comment, après l’expropriation des 214 propriétés situées à l’intérieur des limites du parc, les lieux ont fait l’objet d’une reconstruction du rapport entre l’humain et la nature, à travers un travail de recomposition de l’espace au profit d’une politique identitaire au sein de laquelle l’homme s’efface pour laisser la place aux référents naturels. Finalement, Olivier Craig-Dupont faisait état de l’un des plus récents mouvements en matière de protection écologique, phénomène qui s’inscrit dans la mouvance interventionniste du libéralisme de l’État. Grâce à la reconnaissance de nouveaux outils légaux, la propriété privée devient un lieu de conservation par l’intermédiaire de servitudes, faisant foi d’un délaissement du secteur primaire des activités économiques agroforestières traditionnelles au profit d’une marchandisation des « commodités fictives », selon l’expression de Polanyi. Ce type de protection des milieux naturels s’associe à l’attribution d’une valeur toute particulière au paysage qui profite surtout aux activités de tourisme et de villégiature, mais qui donne aussi lieu à une hausse de la valeur foncière des propriétés et, de ce fait, en restreint l’accès. Ces trois communications ont soulevé des discussions sur la complexité que représente la patrimonialisation de la nature et les rapports de classes qui y demeurent liés.

La seconde séance, intitulée « Autour d’enjeux environnementaux », a rappelé la difficulté que peut poser la définition même de l’environnement et son lien étroit aux mouvements sociaux. En effet, les deux communications mettaient en évidence comment sont liés l’essor de la notion d’environnement et l’histoire des mouvements de revendication. Renaud Bécot proposait ainsi avec justesse de faire de l’environnement un objet pour l’histoire du travail, ainsi qu’inversement faire du travail un objet pour l’histoire de l’environnement. En effet, les syndicats, sans s’afficher de la sorte, ont souvent été des pionniers en matière de revendications environnementales, notamment en réclamant pour les travailleurs une amélioration des aménagements urbains, la mise en œuvre de mesures de santé et d’hygiène à l’intérieur et hors des espaces de travail, ainsi qu’en réclamant des règles quant à l’exploitation et la rationalisation des ressources naturelles, forestières et minières. La définition de l’environnement à l’échelle nationale se trouve teintée des expériences des salariés et conséquemment, pour le Québec, par l’importance du secteur de l’extraction des ressources. Valérie Poirier, quant à elle, nous offrait un regard sur l’environnement par l’intermédiaire de l’historiographie de l’automobilité, avec un retour sur un moment clé des critiques adressées à l’automobile dans le contexte montréalais des années 1960-1970. Les grands enjeux liés à l’automobile sont exposés à travers les discours portés par quatre groupes environnementaux, soit SVP, STOP, Sauvons Montréal et Le monde à bicyclette. Outre les critiques qui concernent la pollution atmosphérique, l’automobile devient un symbole des inégalités et des injustices environnementales générées par le capitalisme, notamment en raison des enjeux liés à l’aménagement urbain, alors qu’une place toujours plus grande est faite à l’automobile au détriment d’espaces urbains tels que les zones habitées et les espaces verts, le plus souvent localisés dans les quartiers où vivent des populations déjà fragiles. Les deux cas ici présentés ont suscité des réflexions sur la montée de la place de l’expert et de la mobilisation des connaissances produites en faveur ou contre la cause portée par les groupes militants. Ils ont aussi questionné les rapports d’échelle et la transcription locale de discours qui se jouaient aussi à l’échelle mondiale.

Enfin, les deux sessions nous ont montré que nous avons affaire à un environnement qui se doit d’être envisagé par de multiples points de vue. Un objet donc à prendre à travers le prisme d’enjeux sociaux et politiques qui participent à le définir, que ce soit par l’entremise de la patrimonialisation, des inégalités, des mouvements sociaux et des luttes de pouvoir.

Pour ceux qui voudraient revoir l’horaire des deux séances et les résumés des communications :

http://niche-canada.org/node/10713

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Maude Flamand-Hubert

Je suis professeure adjointe en politiques appliquées à la forêt privée à la faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval. J'ai soutenu en 2017 ma thèse de doctorat, intitulée "La forêt québécoise dans la première moitié du XXe siècle : représentations politiques et littéraires" (cotutelle en développement régional à l'Université du Québec à Rimouski (UQAR) et en histoire à Sorbonne Paris-IV). Mes intérêts de recherche portent sur l'exploitation des ressources naturelles et les politiques publiques, l'histoire forestière, régionale et environnementale, le Québec au XIXe et XXe siècle, les représentations de la forêt et des milieux forestiers.

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