La citrouille : de la Nouvelle-France à aujourd’hui…

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Maude Flamand-Hubert
Maude Flamand-Hubert

Pour cette semaine marquée par la fête de l’Halloween, rien ne paraissait mieux que de s’attarder à cette cucurbitacée.

Bien sûr parce que la citrouille, une fois transformée et décorée en Jack O’Lantern, est le symbole par excellence de cette fête automnale, mais aussi, et surtout parce qu’elle offre une occasion de jeter un regard sur l’évolution des habitudes alimentaires, qui sont elles-mêmes souvent en lien direct avec notre rapport à l’environnement. La citrouille illustre bien le peu d’informations disponibles sur l’évolution de l’utilisation et de la culture de ce type d’aliment. Exclue des marchés, elle appartient au domaine très inclusif et imprécis du jardin potager, pour lequel les sources sont rares et imprécises.

La domestication des courges dans les Amériques remonterait à plus de 8 000 ans. À l’arrivée des Européens, la citrouille faisait partie de l’alimentation régulière des populations iroquoïennes sédentaires pratiquant l’horticulture depuis déjà longtemps. Ce sont plus particulièrement les Hurons qui fournissent légumes et semences aux premiers Français. Les Hurons apprêtaient la citrouille soit bouillie ou cuite enfouie dans les cendres. Après l’avoir tout d’abord confondu avec le melon, les Français adoptent dès le 17e siècle cette nouvelle variété de courge inconnue en Europe. En Nouvelle-France, on la cuit généralement dans l’eau ou le sirop, ou on la pose simplement coupée en deux près du feu ou dans un four. La citrouille est aussi incorporée à différentes recettes : consommée autant en potage avec du lait, en friture, en tartes, gâteaux, confitures et friandises. Certaines de ses caractéristiques jouaient en sa faveur, dont son mûrissement tardif, sa résistance aux premières gelées et ses grandes qualités de conservation qui lui faisait traverser les hivers. Elle offrait donc la possibilité de diversifier l’alimentation automnale et hivernale alors que les produits frais se faisaient rares.

Yvon Desloges qualifie « d’expériences révolues » la culture et l’utilisation de la citrouille, tout comme du maïs d’ailleurs. Dès la fin du 17e siècle, la production de ces aliments est marginalisée. Il attribue ce revirement au discours humoral et diététique de l’époque, qui préconisait d’éviter les aliments inhabituels et de se limiter à ceux qui faisaient déjà partie des mœurs. Les causes du rejet de la citrouille seraient donc essentiellement culturelles. Les Européens, poussés par la nécessité à emprunter aux habitudes alimentaires des autochtones, se sont ensuite repliés sur leurs propres coutumes une fois les conditions réunies. Les Européens importeront leurs propres légumes d’Europe et implanteront leur culture en Amérique.

La citrouille aurait connu un premier regain d’intérêt suivant l’arrivée des Loyalistes au 19e siècle. Mais c’est surtout le changement des habitudes alimentaires associé au courant du végétarisme dans la deuxième moitié du 20e siècle qui a joué en faveur d’une entrée sur le marché québécois non seulement de la citrouille, mais des courges de façon plus générale.

Cette brève incursion dans l’histoire de la citrouille est un prétexte pour rappeler que nous détenons encore peu d’informations sur la culture des aliments. En effet, retracer la trajectoire de notre consommation de certains d’entre eux, comme la citrouille, sur plus de 300 ans, comporte encore plusieurs zones d’ombre. L’histoire de l’alimentation se fait encore timide au Québec, mais nous entraîne sur la piste des aliments, de leur origine, des modes d’approvisionnement ou de production, et des transformations qui accompagnent leur consommation.

Bizier, Hélène-Andrée, et Robert-Lionel Séguin, 2004, Le menu quotidien en Nouvelle-France, Montréal, Art Global.

Desloges, Yvon, 2011, « Les Québécois francophones et leur “identité” alimentaire : de Cartier à Expo 67 », Cuizine: The Journal of Canadian Food Cultures / Cuizine : revue des cultures culinaires au Canada, vol. 3, no 1,http://www.erudit.org/revue/cuizine/2011/v3/n1/1004727ar.html?vue=integral.

Desloges, Yvon, 2009, À table en Nouvelle-France, Montréal, Septentrion.

Desloges, Yvon, et Marc Lafrance, 1989, Goûter à l’histoire. Les origines de la gastronomie québécoise, Service canadien des Parcs, Les Éditions de la Chenelière.

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Maude Flamand-Hubert

Je suis professeure adjointe en politiques appliquées à la forêt privée à la faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval. J'ai soutenu en 2017 ma thèse de doctorat, intitulée "La forêt québécoise dans la première moitié du XXe siècle : représentations politiques et littéraires" (cotutelle en développement régional à l'Université du Québec à Rimouski (UQAR) et en histoire à Sorbonne Paris-IV). Mes intérêts de recherche portent sur l'exploitation des ressources naturelles et les politiques publiques, l'histoire forestière, régionale et environnementale, le Québec au XIXe et XXe siècle, les représentations de la forêt et des milieux forestiers.

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