Le soir du 15 juin 1896 peu avant 20 heures, les villages côtiers du Sanriku célèbrent deux évènements : la fête des garçons du calendrier religieux shinto et le retour des soldats envoyés en Chine lors de la première guerre sino-japonaise. L’ambiance est festive et joyeuse, lorsque se fait sentir un léger tremblement qui se révèle être une demi-heure plus tard deux murs d’eau consécutifs pouvant atteindre jusqu’à 38 mètres de haut.
Les vagues qui s’abattent sur plus de 600 km de littoral sont d’une force telle qu’elles oblitèrent la plupart des villages touchés. La préfecture d’Iwate est la plus touchée, suivie par Miyagi et Aomori, à cause de sa proximité avec l’épicentre du séisme déclencheur. Parmi les zones les plus touchées, se trouvent les villages de Kesennuma et de Kamaishi. Kamaishi est l’une des villes les plus connues de la région car elle héberge depuis de temps, 1889, une usine sidérurgique grâce à la proximité des mines de fer dans l’arrière-pays immédiat.
À l’ambiance joviale succède la stupeur et la panique pour les survivant.e.s, qui se retrouvent alors dans une confusion terrible en voyant que leur village ou leur demeure sont en ruine et leurs proches disparus. Les festivités, proches du littoral, et avec une forte concentration des personnes ont été indubitablement un facteur aggravant dans le bilan de la catastrophe. Les pêcheur.e.s parti.e.s en mer au moment de la vague et revenant au village sont les premiers à donner l’alerte et à secourir les victimes : soit 22 000 morts et 4 400 blessés. Il s’agit de la troisième catastrophe sismique la plus meurtrière de l’histoire japonaise derrière le Grand séisme du Kantō de 1923 et le tsunami de Fukushima de 2011.
Dans cet article, nous nous penchons sur le tsunami du Sanriku du 15 juin 1896, ayant touché la région du Sanriku. Le but est de comprendre comment l’État de Meiji naissant a réagi à la catastrophe et comment il est intervenu sur les courts et moyen termes dans la région touchée.1

Contexte spatial et temporel
Le Sanriku désigne avant tout le littoral qui court le long de la région septentrionale de l’île principale de Honshū, le Tōhoku. Il s’agit de l’appellation obsolète s’étirant le regroupant les préfectures de Miyagi, Iwate et Aomori. La côte de 600 km est connue pour son relief déchiqueté et pour ses paysages pittoresques. La pêche se distingue comme la principale activité économique de la région car au large du littoral se situe la convergence entre les courants marins du Kuroshio et Oyashio, en en faisant l’un des trois endroits les plus riches en ressources halieutiques. Toutefois à cette époque, la région est pauvre car éloignée des principaux centres économiques du pays. Le Sanriku constitue un foyer d’émigration principalement vers la colonie d’Hokkaidō et les centres urbains de Tokyo ou Osaka.

L’ère Meiji (1868-1912) est une période qui marque la fin du régime politique du shogunat, de l’avènement de l’empereur comme figure politique principale et de l’industrialisation accélérée du pays. L’État, qui orchestre en partie cette transformation, est dirigé par une oligarchie dont les principaux dirigeants sont issus des rangs de samouraïs de conditions modestes venant principalement des domaines de Satsuma, Chōshū et Tosa.2 Au niveau diplomatique, l’archipel passe de puissance régionale à acteur de premier plan après sa victoire de 1905 sur la Russie tsariste. L’État oligarchique de Meiji inaugure l’État-nation japonais par le biais de plusieurs facteurs, dont le service militaire national et la gestion à l’échelle nationale des catastrophes naturelles ou technologiques.
En effet, le séisme puis le tsunami du Sanriku de l’ère Meiji est l’une des premières catastrophes que nous pourrions qualifier de « nationale ». Le tsunami et sa gestion post-catastrophe est organisée aux échelles nationale, régionale et locale par plusieurs acteurs, dont l’État en premier chef. Nous pourrions même demander si le désastre ne serait pas transnational, car la vague provoquée par le séisme parvient même jusqu’à Hawai’i. Hormis ces légers échos transpacifiques, le tsunami n’est pas mentionné hors des frontières japonaises.
De plus, cette catastrophe sismique se distingue de celles de l’époque Edo (1600-1868) car la plupart de celles-ci étaient gérées au niveau régional par les chefs respectifs (daimyō) des domaines ou des fiefs (han) dans lesquelles se déroulaient les catastrophes. Le tsunami de 1896 testera les capacités de l’État.
Gestion de la crise
Parmi les autres acteurs mobilisés par l’après-catastrophe, nous trouvons la Croix-Rouge japonaise (Nihon Sekijūjisha), le Bureau de prévention contre les séismes (Shinsai yobō chōsakai), plusieurs titres de journaux et bien évidemment la population civile locale, parmi lesquels nous pourrions inclure les représentants locaux de l’État et les autorités religieuses. En plus des mécanismes étatiques, des réseaux locaux de solidarités intracommunautaires complètent le dispositif alors mis en place.
L’immédiat après-tsunami, à savoir la phase d’urgence et d’effondrement local de l’ordre socio-économique, dure ici environ 30 jours. Il s’agit de la durée durant laquelle les journaux nationaux et locaux couvrent les événements et sa gestion par les autorités et de l’engagement de la Croix-Rouge japonaise sur les lieux. Cette durée correspond également au rétablissement progressif des lifelines vitales à l’autonomie des communautés touchées par la catastrophe. Elles comprennent les voies de communication, l’accès à l’eau et la nourriture et éventuellement l’électricité ou le télégraphe, alors à ses balbutiements.
L’État, plus particulièrement les gouverneurs de chaque préfecture touchée, supervisent et coordonnent la remise en état (fukkyū) et la prise en charge des victimes. En japonais, les notions de restauration (fukkyū) et de reconstruction (fukkō) désignent deux phases et deux visées de l’après-catastrophe. La restauration se définit par une remise en état des zones touchées par les catastrophes et sa reconnexion aux lifelines. La reconstruction peut se comprendre comme la phase de rétablissement plus profond des communautés touchées et d’une tentative de renforcement face aux catastrophes. Les relais locaux se révèlent être soit l’armée ou la police locale : ils se chargent de la transmission des directives et de leur réalisation sur le terrain.
La prise en charge des blessé.e.s est avant tout sous la responsabilité de la Croix-Rouge, qui se divise en postes de commandements et stations de soin sur le terrain. Pour la seule préfecture de Miyagi, la Croix-Rouge japonaise dépêche un contingent de 419 soignant.e.s pour 4 958 blessé.e.s, (soit une proportion de 1/10).3 Les patient.e.s sont placé.e.s sur des nattes de paille et des futons à même le sol, dans des dispensaires temporaires construits en bois et en paille de riz. L’avantage semble être moins la rapidité de construction des lieux mais aussi leur relative salubrité.

Du côté scientifique, les sismologues du Bureau d’investigation sismique étudient les stigmates du tsunami, interrogent les survivant.e.s et étudient les ruines des villages. Leurs buts sont de déterminer les mécanismes du tsunami et d’émettre des propositions de mesures afin de mieux préparer au maximum la prochaine catastrophe sismique.
Pour les moyens et longs termes commence la phase de reconstruction, voire de consolidation (fukkō). Par ce terme, il faut comprendre la reconstruction des infrastructures touchées mais plus globalement l’amélioration de celles-ci afin de renforcer la résilience et la préparation des communautés locales à différentes calamités.
Pour clore, nous devons souligner la grande résilience des communautés du Sanriku. Contre toutes attentes, celles-ci parviennent avec une certaine aide matérielle à se relever rapidement, en à peine un mois.
- Ce billet de blog est tiré du mémoire de maîtrise: William Favre, l’Etat de Meiji et le tsunami du Sanriku de 1896. Adaptation et gestion du catastrophe périphérique, 2021, EHESS (Paris), Master «Histoire du monde, Histoire des mondes», 148 p. ↩︎
- Pour une synthèse sur le sujet: Pierre-François Souyri, Moderne sans être occidental. Aux origines du Japon aujourd’hui, Paris, Éditions Gallimard, mai 2016, 496 p. ↩︎
- Croix-Rouge japonaise, section de Miyagi, Nihon Sekijūjikai Miyagi shibu 日本赤十字会宮城支部), Chronique du secours du Tsunami de Miyagi (Nihon Sekijūjikai Miyagi shibu tsunami kyūgo kiji 日本赤十字会宮城支部海嘯救護), Croix-Rouge Japonaise, Sendai, 1898, ID000000449036, Collection numérique de la bibliothèque de la Diète, téléchargé le 6.2.20. Croix-Rouge Japonaise, Histoire de la Croix-Rouge Japonaise (Nihon sekijūjikai shi 日本赤十字会史), tome 3, Croix-Rouge Japonaise (éd.), 1911, Tōkyō, Collection digitale de la Bibliothèque nationale de la Diète, 000001000287ID, pp. 1612-41 ↩︎
Image vedette: Inconnu, Estampe illustrent le tsunami provoqué par le séisme du Sanriku de l’ère Meiji, 1896, 1896, Japon, Estampe polychrome sur papier, Source: University of British Columbia Library – Rare Books and Special Collections.
