Depuis mes débuts sur le blogue du NiCHE, j’ai rarement fait dans la chronique d’opinion et le commentaire politique. J’ai parfois quelques réticences quant à l’instrumentalisation de l’histoire, et plus généralement sur les usages publics qui peuvent en être faits. Mais parfois, les liens entre l’actualité et nos recherches appellent à se manifester. C’est un peu ce qui est arrivé ces derniers temps, alors que le gouvernement québécois, dans la foulée des restrictions budgétaires et des coupures de toutes sortes, a décidé d’abolir une cinquantaine de postes au sein des effectifs du ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs. Des biologistes, des techniciens, des agents de la faune perdent leurs emplois, compromettant, entre autres, des activités de recherche et les opérations de surveillance sur le territoire. La nouvelle n’a pas fait grand bruit, à côté des compressions imposées dans le domaine de l’éducation en pleine période de rentrée scolaire… Mon commentaire ne vise pas tant à participer à la guerre de chiffres à laquelle se livrent ces temps-ci le gouvernement, les syndicats, les analystes… Mais plutôt à revenir sur quelques éléments qui permettent de mettre en perspective la lente et parfois difficile relation politique à notre territoire et à ses ressources.
Ces compressions arrivent tout juste quelques mois après un remaniement qui est venu brasser les responsabilités ministérielles. Avant avril 2014, il y avait un ministère des Ressources naturelles (MRN), et un ministère du Développement durable, Environnement, Faune et Parcs (MDDEFP). Maintenant, il y a un ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN), un ministère Forêts, Faune et Parcs (MFFP), et finalement un ministère du Développement durable, Environnement, et Lutte contre les changements climatiques (MDDELCP). De toute façon, on n’en est plus à un changement près : le gouvernement n’arrivant pas lui-même à mettre à jour ses ressources informatives, les sites internet d’un ministère renvoyant à l’autre. Et comme on peut le lire autant sur le site du MERN et du MFFP, qui partagent en fait la même page « Historique » (mais sous deux adresses différentes… http://www.mern.gouv.qc.ca/ministere/historique/index.jsp et https://www.mffp.gouv.qc.ca/accueil.jsp ), « Créé en 2005 sous sa forme actuelle, le ministère des Ressources naturelles est en quelque sorte l’héritier de quatre siècles de gestion publique du territoire québécois et de ses ressources. En effet, de la fondation de la Nouvelle-France à nos jours, l’État a toujours joué un rôle dans la gestion de ses ressources forestières, minières, puis énergétiques, intimement liées au développement économique du Québec. » Le surlignement en gras des « quatre siècles de gestion publique » n’est pas de moi… Donc, depuis 2005, semble-t-il, rien n’a bougé, malgré la succession en neuf ans de six cabinets sous quatre premiers ministres. Omettre quelques déplacements de la faune ou de la forêt aux côtés des ressources naturelles ou de l’environnement semble ne pas avoir beaucoup d’importance face à un aboutissement qui s’assoit sur 400 ans d’histoire. De toute façon, pour rattacher tous les fils ensemble, il faut avoir le courage d’affronter le labyrinthe du site internet de l’Assemblée nationale…
On en comprend qu’il n’y a pas de changement profond dans la perspective sur les différents champs de compétences. S’il est vrai que 400 ans d’histoire nous séparent des premiers contacts européens avec le territoire nord-américain impliquant une administration à l’occidentale de celui-ci, il apparaît bon de rappeler que tout n’est pas qu’une grande trame continue au cours de laquelle se serait en quelque sorte créé naturellement notre rapport au territoire. Pour faire dans la métaphore, cette histoire de notre rapport au territoire et de notre interaction avec les ressources n’est pas un long fleuve tranquille. Il est parsemé de rapides, de chutes… On y a érigé des barrages, creusé des canaux. On a inondé certaines zones et on en a asséché d’autres. En d’autres mots, il y a des moments charnières et on sélectionne les événements selon nos besoins de mémoire. Pour l’occasion, il semble pertinent de jeter les projecteurs sur la turbulence au sein de laquelle se sont définis nos rapport politique et économique au territoire et aux ressources naturelles à l’orée du XXe siècle.
Dans la première décennie du XXe siècle, on débattait fort à l’Assemblée nationale et dans les journaux de nos ressources naturelles. Avec l’essor de l’industrie papetière, le développement de l’hydroélectricité, et la découverte du potentiel minier du Québec, les ressources naturelles représentaient le moyen de combler les besoins financiers grandissants du jeune État québécois. Après les subsides fédéraux, les revenus tirés des forêts représentaient la deuxième source de revenus en importance pour l’État québécois. Avec en plus les pouvoirs d’eau et les ressources minérales dont regorgeait la province, le Québec pourrait répondre aux demandes grandissantes que nécessitaient les services d’éducation, de santé, de justice, de bien-être social. Afin de bien administrer les ressources publiques et d’en faire profiter la population, on formalisait la création de ministères, en leur octroyant des champs de compétences bien distincts. Mais surtout, on adoptait des pratiques qui visaient à développer le potentiel de ces ressources, à en assurer une exploitation rationnelle. Depuis l’Acte confédératif en 1867 jusqu’en 1897, toutes les ressources et la gestion du territoire étaient regroupées sous l’autorité du département des Terres de la Couronne. Outre les services d’arpentage et de cadastre, son rôle principal consistait à octroyer des permis d’exploitation et à percevoir les rentes et redevances. À partir de 1897, mais surtout dans la décennie suivante, on commence à entrevoir les choses différemment. On redoute l’épuisement des forêts, du moins celles qui sont accessibles pour leur exploitation. La déforestation affecte le débit des rivières. On constate le phénomène d’érosion qui suit bien souvent les coupes de bois. Le gibier se fait rare à certains endroits. Les rivières présentent des taux de pollution qui menace la santé du poisson. Ces observations font craindre pour la pérennité de ces ressources dont est si richement doté le Québec, et qui représentent une possibilité pour les Canadiens français de s’affirmer politiquement et économiquement. Aux côtés de la colonisation et de l’agriculture, qui demeurent des priorités dans le projet de société que promeuvent les élites politiques et religieuses, les ressources naturelles occupent une place de plus en plus incontournable. Elles représentent une opportunité de s’engager dans une économie libérale et d’entrevoir un avenir industriel pour la province, à la hauteur de ce qui se faisait alors partout en Occident. Ces nouvelles politiques nécessitaient de faire appel à la science afin de mettre en œuvre une exploitation méthodique de nos ressources. En toile de fond, le débat portait également sur le rapport que devait entretenir l’État à l’égard des compagnies, forestières surtout, et le plus souvent étrangères quant à la provenance de leurs capitaux. Néanmoins, on privilégiait encore beaucoup l’alternative privée afin d’assurer les opérations d’aménagement et de surveillance sur le territoire. Le régime des concessions forestières ainsi que les clubs de chasse et de pêche jouaient notamment ce rôle. La protection contre les incendies ou la lutte au braconnage, notamment, ont longtemps relevé d’un système dont la responsabilité ainsi que les coûts de la prévention et des interventions étaient largement assurés par les bénéficiaires de la ressource.
Au sortir de cette crise politique – on ne peut en faire toute l’histoire ici –, on créait en 1906 d’une part le ministère des Terres et Forêts, et d’autre part le ministère de la Colonisation, des Mines et des Pêcheries. Bien que la valse des compétences ministérielle ait toujours eu sa place, et que de nouvelles compétences aient vu le jour au fil du temps – comme avec la création d’un ministère des Ressources hydrauliques en 1945 – on peut parler d’une certaine stabilité jusque dans les années 1960. Avec la Révolution tranquille et la montée de la pression populaire, l’État a modifié son approche. On assiste alors à une vaste campagne de déclubage, faisant place à différentes formes de gestion des territoires fauniques publics. On entreprend le processus d’abolition des concessions forestières. On crée un réseau de parcs provinciaux. Les ministères de l’Environnement ainsi que celui des Loisirs, de la Chasse et de la Pêche, voient le jour au passage. Encore une fois, bien que tout ne soit pas figé, on assiste à une certaine période de stabilité jusqu’au milieu des années 1990.
Voici un portrait lancé en vrac, et sûrement bien incomplet. Je ne suis pas une grande analyste politique. Le contexte qui prévalait au début du XXe siècle n’a rien à voir avec celui que l’on connaît actuellement. Mais les circonstances présentes, avec ses remaniements ministériels, ses restrictions budgétaires, sans compter l’évaluation des programmes annoncée par le gouvernement, me pousse à me poser la question suivante : ne serions-nous pas rendus au point de revoir plus en profondeur la place qu’occupent, dans le projet de société québécois, les ressources naturelles, ainsi que plus globalement notre interaction au territoire, et comment ceux-ci peuvent s’articuler au sein des structures de l’État?
Maude Flamand-Hubert
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