Par Gabriel Fortin, Sébastien Dupuis, et Dominique Arseneault
Le laboratoire d’écologie historique de l’Université du Québec à Rimouski, dirigé par le professeur Dominique Arseneault, étudie la dynamique à long terme des forêts tempérées du Québec méridional. L’objectif général de ce travail est de comprendre l’impact à long terme des activités humaines sur les paysages forestiers. Notre région d’étude correspond à la forêt tempérée du Québec méridional, de l’Abitibi à la Gaspésie (figure 1), là où la colonisation et l’exploitation forestière ont influencé la forêt depuis deux siècles.
Au cours des XIXe et XXe siècles, l’exploitation forestière, le déboisement à des fins agricoles et l’augmentation de la fréquence des incendies forestiers ont modifié la composition et la structure des forêts. En comparaison de l’époque préindustrielle, les paysages forestiers sont aujourd’hui plus jeunes et plus fragmentés par l’urbanisation, l’agriculture et les chantiers de coupes, et comportent plus d’arbres qui s’établissent dans les milieux ouverts ou les milieux perturbés. Les forêts non perturbées par l’homme étant désormais rares, l’utilisation d’archives devient nécessaire afin de reconstituer la composition des forêts avant l’essor de l’industrie forestière et de la colonisation européenne.
Nous utilisons deux types d’archives pour reconstituer la forêt préindustrielle et sa transformation, soit les archives de l’arpentage primitif et les archives de compagnies forestières.
Arpentage primitif
C’est à partir de la fin du XVIIIe siècle, suite à la révolution américaine, qu’une partie des terres publiques du Québec et de l’Ontario a été divisée en cantons en vue de l’établissement des loyalistes venus des colonies américaines. Ce mode de tenure anglaise a été adopté suite à l’acquisition britannique de la Nouvelle-France par le Traité de Paris, en 1763, et c’est en 1796 que le premier canton a été proclamé au Québec. Aujourd’hui, même si les seigneuries témoignant du régime français dominent les abords du fleuve Saint-Laurent, les cantons occupent une superficie beaucoup plus grande et couvrent la presque totalité du Québec méridional.
L’arpentage des cantons avait pour but de subdiviser le territoire en vue de la colonisation. Ces opérations d’arpentage ont couvert systématiquement le Québec méridional sur une période de 170 ans, soit de 1790 à 1960. Plusieurs équipes d’arpentage ont établi les limites des cantons et les ont divisés en rangs et en lots.
Afin d’identifier les meilleures terres, les arpenteurs prenaient des notes sur la forêt, la qualité des sols, la topographie et les cours d’eau (figure 2). La forêt était décrite en énumérant les espèces d’arbre présentes et en mesurant précisément les distances parcourues entre les observations. Les arpenteurs notaient également les perturbations comme les bûchés, les brûlés, les défrichés, etc. Ces notes étaient consignées dans des carnets, aujourd’hui conservés au greffe de l’arpenteur général du Québec (ministère des Ressources naturelles du Québec).
De nos jours on peut reconstituer la composition de la forêt préindustrielle en déterminant précisément les coordonnées géographiques des milliers d’observations faites par les arpenteurs.
Même si les archives d’arpentage contiennent des données pertinentes sur la composition des forêts préindustrielles, ces travaux n’avaient pas pour but premier de décrire la végétation. La qualité des informations contenues dans les archives est donc conséquente des efforts déployés par chaque arpenteur pour décrire les forêts. Par exemple, les arbres sont parfois désignés par leur genre seulement, ou encore certains régionalismes peuvent rendre difficile l’identification des espèces rencontrées par les arpenteurs. Malgré tout, les archives d’arpentage sont considérées comme la meilleure source d’information disponible sur la composition des forêts préindustrielles en Amérique du Nord.
Inventaires de la compagnie forestière Price Brothers
La compagnie Price Brothers a réalisé, entre 1928 et 1930, un inventaire forestier de plus de 15 000 placettes afin de déterminer le volume de bois exploitable dans ses concessions forestières du Bas-Saint-Laurent. Dans chaque placette (surface rectangulaire de 10 m x 100 m), tous les arbres ont été identifiés à l’espèce, mesurés et comptés par classe de diamètre de deux pouces. Ces informations ont été notées sur des feuilles manuscrites et conservées aux Archives nationales du Québec à Chicoutimi (figure 3). Ces informations quantitativement précises complètent les archives d’arpentage et permettent de dresser un portrait très complet de la forêt préindustrielle, tant au niveau de sa composition que de la taille des arbres. Au cours des étés 2012 et 2013, près de 1000 placettes ont été revisitées sur le terrain. Le même protocole qu’en 1930 a été appliqué pour évaluer précisément les changements de composition de la forêt entre les époques.
Exemples de résultats
Plusieurs indices sont calculés pour décrire la composition des forêts préindustrielles. Par exemple, nous quantifions la fréquence d’occurrence des espèces d’arbres dans la forêt préindustrielle en calculant la proportion d’observations dans lesquelles chaque espèce a été mentionnée par les arpenteurs. Nous dressons des cartes de distribution des espèces dans la forêt préindustrielle en divisant le territoire en cellules de 5km × 5km et en calculant la fréquence de chaque espèce dans chaque cellule (figures 4 et 5). Nous calculons la fréquence d’occurrence des espèces par tranche d’altitude pour reconstituer l’étagement de la végétation sur les versants de collines dans la forêt préindustrielle.
Afin de mesurer la transformation de la forêt depuis l’époque préindustrielle jusqu’à l’époque actuelle, ces analyses sont refaites avec les données tirées des inventaires forestiers modernes du ministère des Ressources naturelles du gouvernement du Québec.
Par exemple, la figure 4 montre comment les pins, qui étaient surtout présents dans l’ouest du Québec, ont fortement diminué depuis l’époque préindustrielle. Cela s’explique par l’exploitation intensive de cette essence. Inversement, la forte augmentation des peupliers illustrée à la figure 5, s’explique par l’augmentation de la fréquence des feux lors de la phase de colonisation des terres durant les XIXe et XXe siècles.
Suite des travaux
Nos travaux se poursuivent et nous continuons à construire des bases de données à partir des archives d’arpentage et des archives de compagnies forestières et à analyser la dynamique à long terme des forêts. Nous modélisons également la dynamique de paysages forestiers régionaux, afin de prévoir la dynamique des forêts sous différents scénarios d’aménagement forestier et de changement climatique.
Pour plus d’informations
Dominique_Arseneault@uqar.ca
Maude Flamand-Hubert
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Merci pour cette page, je vis à Cabano, le long de la rivière Cabano, au côté des chutes. Depuis plusieurs années nous nous posons la question à savoir quelles étaient les essences que l’on trouvait ici en forêt avant la période industrielle ou la colonisation qui fut assez tardive dans la région. Après les coupes à blanc, il y eut des pâturages et des lopins cultivés. Par la suite un reboisement avec épinettes vu l’abandon de l’agriculture. Sur une terre si riche, limoneuse, il est certain que plusieurs essences y vivaient. Nous introduisons tranquillement le chêne rouge, les pins, les merisiers, les érables et les cèdres. Il y repousse naturellement d’autres espèces que nous laissons, tel le frêne noir, les peupliers et bouleaux, et il y en a d’autres. Je vais tenter de suivre vos publications, c’est très intéressant, Bien à vous,