Je tiens à remercier Charles Dagneau, archéologue subaquatique à Parcs Canada, pour la généreuse entrevue qui a permis la rédaction de cette chronique.
Il y a plusieurs semaines déjà, j’avais eu la chance d’assister au vernissage de l’exposition Plongez dans votre histoire! 50 ans d’archéologie subaquatique à Parcs Canada. Cette exposition est présentée dans le cadre des commémorations du centenaire du naufrage du paquebot l’Empress of Ireland, au large de Pointe-au-Père, à Rimouski. Plusieurs activités soulignaient tout au long de l’été cet événement dramatique de l’histoire maritime canadienne au Site historique maritime de Pointe-au-Père. Cette exposition a permis notamment de mettre en valeur les recherches qui ont été menées depuis un demi-siècle afin de documenter l’épave de ce paquebot qui a marqué l’histoire, en devenant la plus grande tragédie maritime au pays. Mais ce qui a surtout retenu mon attention, c’est la rencontre avec un univers photographique qui nous emmène à réfléchir sur la transformation du rapport que l’homme a entretenu avec le monde aquatique, et comment celui-ci s’est transformé avec l’évolution des techniques de plongée sous-marine et d’archéologie subaquatique.
Ma curiosité a d’autant plus été piquée par un drôle de hasard. En fouillant dans les archives du journal La Presse pour mes recherches sur la forêt, je suis tombée sur un article daté du 4 août 1906, qui faisait état du projet d’assèchement du Lac Nemi, en Italie. Le but de l’opération : extraire les vestiges de deux navires construits par Caligula… On est maintenant loin de ce genre technique pour le moins drastique. Je savais déjà que des plongeurs allaient au fond des eaux pour observer et documenter des vestiges, qu’ils rapportaient des artefacts sur la terre ferme aux fins d’études et d’exposition. Et que grâce à leurs découvertes, nous apprenions beaucoup de choses… Mais je ne m’étais jamais arrêtée à me poser beaucoup de questions sur cette discipline et sur sa contribution à la connaissance historique. Une discipline encore jeune, et qui évolue au rythme de technologies de fine pointe. L’archéologie subaquatique s’est développée dans les traces de la plongée sous-marine, avec l’avènement du scaphandre autonome dans les années 1940, expérimenté par l’équipe de Jean-Yves Cousteau. Depuis, elle ne cesse de se spécialiser et de se perfectionner.
Si l’archéologie subaquatique s’intéresse plus particulièrement au patrimoine culturel submergé, cinquante ans de plongée sous-marine, c’est cinquante ans d’un regard différent posé sur l’environnement sous-marin. C’est aussi une remise en perspective de l’importance de l’eau et des milieux lacustres dans notre environnement et dans notre histoire. Les cours d’eau ont été des voies de transport privilégiées pendant plusieurs siècles. C’est à travers les lacs et les rivières que les populations ont parcouru le continent. Les cours d’eau ont également été de formidables pourvoyeurs de ressources pour les populations. Autant d’activités qui ont laissé des traces et qu’il revient maintenant à l’archéologie subaquatique de nous livrer.
Le site de Red Bay, au Labrador, et la reconstitution d’une chalupa basque datant du 16e siècle est une des grandes références en la matière. Les vestiges de structures de pêche (passe d’Atherley, Ontario), ou les sites préhistoriques submergés suite à la construction de barrages (Lac Minnewanka, Alberta), sont d’autres exemples de ce qui peut se cacher enfoui sous l’eau. Ces sites nous livrent, d’une part, différentes facettes de notre rapport aux milieux aquatiques, mais aussi, ils nous renseignent sur les moyens que nous avons utilisés pour transformer notre milieu, créant de nouveaux environnements, aujourd’hui submergés. Les vastes recherches menées dans l’océan Arctique à la recherche des navires de James Knight de la Compagnie de la Baie d’Hudson, perdus en 1721, ou ceux de Sir John Franklin, disparus à la fin des années 1840 dans une ultime quête du passage du Nord-Ouest, nous rappellent la fascination, le danger et le défi qu’exercent ces vastes étendues d’eau. Les archéologues subaquatiques de Parcs Canada ont également exploré des sites tels que des quais de moulins à scie au Saguenay ou la piste de la ruée vers l’or au Yukon. Le site du navire le Machault, associé à la Bataille de la Ristigouche où il a été coulé en 1760, est l’une des premières et plus complètes expériences au Canada ayant permis d’exploiter la relation entre un site aquatique et une collection d’objets d’usage domestique et militaire. L’étude des réseaux commerciaux est aussi un des champs auquel contribue particulièrement l’archéologie subaquatique.
En les maintenant à l’abri de l’oxygène, de la lumière et des organismes biologiques, l’eau offre un environnement qui permet la conservation de certaines matières, comme les éléments organiques et les minéraux, qui se décomposeraient sur la terre ferme. Plusieurs sites contiennent les vestiges d’habitats submergés. Les milieux aquatiques deviennent ainsi des endroits propices à la création de capsules temporelles, où on retrouve, maintenues avec un haut niveau d’intégrité, des collections d’objets en usage dans des circonstances précises et à un moment bien identifié. Ces « capsules temporelles » deviennent autant de repères qui permettent la constitution de chronologies de référence et qui, selon les cas, confirment ou confrontent les sources historiques. C’est notamment de cette façon que l’archéologie subaquatique a contribué aux connaissances en histoire de l’architecture navale et de l’exploitation forestière. Dans un autre domaine, avec les techniques combinées de la dendrochronologie, les prélèvements de bois ont permis de préciser notre connaissance des essences ligneuses utilisées aux débuts de la colonie. Suivant les variations du niveau des eaux sur le continent, les milieux lacustres sont à d’autres occasions devenus le gardien des forêts et autres paysages immergés.
La pratique de l’archéologie subaquatique demeure encore marginale dans les milieux universitaires. Il faut dire qu’en raison des équipements et des technologies dont dépendent les investigations en milieu aquatique, le financement des chantiers de recherche représente un défi de taille. Notamment, les fouilles de sauvetage, devenues courantes en archéologie terrestre lors des travaux d’excavation ou de construction, demeurent encore sous-représentées en milieux aquatiques. Nombre de sites sont donc probablement détruits lors des opérations de dragage, d’aménagement portuaire ou de construction de ponts, qui sont généralement localisés à des endroits stratégiques. L’archéologie subaquatique se heurte aussi au problème que peuvent représenter, dans certains cas, les chasseurs d’épave et la collecte de vestiges par les plongeurs amateurs, alors que de plus en plus, la tendance s’oriente à la conservation in situ des vestiges.
Quelques articles d’actualité portant sur les investigations en archéologie subaquatique au Québec :
Sur le naufrage de l’Empress of Ireland : http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/science/201407/26/01-4787007-naufrage-de-lempress-of-ireland-un-mystere-enfin-resolu.php
Sur le pillage des épaves sur la Côte-Nord : http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/justice-et-faits-divers/201407/15/01-4784162-la-cote-nord-sattaque-aux-pilleurs-depaves.php
Sur le Lady Sherbrooke : http://www.lapresse.ca/arts/arts-visuels/201212/21/01-4606011-john-molson-larmateur-et-son-lady-sherbrooke.php
Sur les épaves en face de la ville de Québec : http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/societe/201201/04/01-4482897-pas-durgence-pour-repecher-les-epaves-devant-quebec.php
Maude Flamand-Hubert
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