Parution : Hydro-Québec et l’État québécois, 1944-2005

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Savard, Stéphane, 2013, Hydro-Québec et l’État québécois, 1944-2005, Québec, Septentrion, 452 p.

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« Quels ont été les débats, dans le cercle des responsables politiques et administratifs, concernant Hydro-Québec, les territoires qu’elle gère, les techniques qu’elle utilise et l’impact de ses activités sur la vie et l’identité des Québécois et des Autochtones? » C’est à partir de cette question que Stéphane Savard présente, de façon exhaustive et perspicace, le rôle prédominant de la société d’État dans la construction nationale, ainsi que son instrumentalisation politique à des fins étatiques ou partisanes.

Dans son ouvrage, Savard tente de rallier le volet essentiellement politique d’Hydro-Québec à la portée sociétale des grands enjeux énergétiques qui jalonnent son histoire. L’auteur propose une histoire politique d’Hydro-Québec à travers laquelle il met en évidence l’ampleur et la densité des projets menés par l’organisation, et de ce fait leur influence sur la société québécoise tout entière, jusque dans le mode de vie des citoyens. Il rassemble dans une problématisation d’ensemble les différentes dimensions qui avaient été jusqu’à maintenant étudiées de façon segmentée. Il fournit notamment une analyse des « différentes représentations symboliques et identitaires du Québec véhiculées par les responsables politiques et les dirigeants d’Hydro-Québec lorsqu’ils interviennent au sujet de l’énergie électrique ». Mais l’ouvrage demeure bien centré sur l’instrumentalisation des réalisations d’Hydro-Québec et leur récupération à des fins politiques et idéologiques. Trois grandes catégories de sources sont utilisées, qui reflètent bien la posture adoptée : les débats reconstitués de l’Assemblée législative du Québec (1944 à 1962) ainsi que les débats de l’Assemblée législative ou nationale du Québec (1962 à 2005); les discours officiels des responsables politiques en dehors de l’enceinte du parlement; et finalement des documents promotionnels produits dans le but de présenter les politiques étatiques.

« […] la présente étude analyse donc la manière dont les responsables politiques et les dirigeants d’Hydro-Québec représentent le Québec et sa société entre 1944 et 2005 lorsqu’ils interviennent au sujet de l’énergie électrique et lorsqu’ils instrumentalisent les projets et orientations de la principale entreprise publique québécoise. Il devient alors possible d’évaluer les valeurs, intérêts, préoccupations et croyances que ces acteurs véhiculent pour justifier leur prise de position dans le domaine énergétique – particulièrement dans le cas de l’électricité – et par lesquels ils introduisent des références identitaires particulières dans l’espace sociopolitique. En d’autres termes, nous nous proposons de faire l’histoire de la nature et des transformations de ces représentations symboliques et identitaires, dont la signification change selon les différentes périodes étudiées » (p. 23-24)

Centrée sur l’aspect scientifique de l’aventure hydroélectrique et les grandes réalisations d’Hydro-Québec, Savard propose une analyse de l’instrumentalisation de la société d’État et de ses grands projets (techniques, institutionnels, économiques ou politiques)  par les responsables de l’organisation. Il identifie trois grands champs de représentations. Le premier se rapporte à l’espace approprié ou au territoire, à travers lequel les responsables d’Hydro-Québec mobilisent deux catégories de représentations, soit le rapport à la nature et à l’environnement, ainsi que la division du territoire en régions et la définition des rôles de celles-ci au sein de l’État (régions-frontières et zones centrales). On y voit notamment comment se manifeste un discours de domination sur la nature appuyé sur les grands projets hydroélectriques, dans une société où persistait la conception d’une population s’adaptant à l’environnement naturel dans lequel elle était appelée à prendre forme. Au rapport de domination à la nature s’ajoute rapidement l’intervention d’Hydro-Québec dans les débats environnementaux qui émergent au cours des années 1970, et comment l’entreprise se construit une image environnementale comme productrice d’énergie propre, jusqu’à l’adoption du développement durable comme fil directeur. On peut voir ensuite comment la société d’État peut être interprétée comme un « outil incontournable utilisé par les responsables politiques pour encourager, selon l’ordre politique du jour, différents modèles de développement du territoire, différentes représentations de l’occupation de l’espace » (p. 138). On retrouve ce phénomène depuis l’épisode bien connu de l’électrification des campagnes, jusqu’à la politique économique d’implantation d’industries primaires fondées sur l’appropriation des ressources comme moteur de développement régional. Les projets hydroélectriques deviennent donc le support à une politique d’occupation du territoire et surtout à l’appropriation administrative du Nord et de ses richesses. Du coup, le développement hydroélectrique participe à la reconfiguration des frontières intérieures et extérieures du Québec. Autour de ces grands projets qui impliquent des populations, Hydro-Québec devient l’acteur principal d’une redéfinition des rapports sociaux avec ces collectivités et de leurs revendications, souvent marginalisées jusqu’à l’avènement du développement durable.

De façon plus globale, Hydro-Québec devient le vecteur, à travers les représentions qui sont véhiculées de l’organisation, des transformations propulsant le Québec dans la modernité, tout d’abord d’un point de vue économique, mais également scientifique. En fait, l’émancipation économique du Québec dépend largement, dans plusieurs cas, de l’accès à l’énergie et donc d’une expansion de l’électrification. L’hydroélectricité devient un véritable symbole d’affirmation du dynamisme économique du Québec. La société d’État prendra aussi le virage néolibéral et de la déréglementation, passant d’une mission vouée à assurer les besoins énergétiques à la démonstration de la compétitivité et de la performance économique du Québec, en passant par la création d’emplois, la production de surplus et la maximisation des profits. Hydro-Québec, c’est aussi l’affirmation de la capacité scientifique et technologique de la province, depuis l’électrification des campagnes à la réalisation des grands chantiers, en passant par la diversification des modes de production avec le nucléaire et l’éolien. Les innovations en matière d’hydroélectricité deviennent le symbole de l’ingéniosité et du savoir-faire des Québécois.

Finalement, Savard explore la dimension culturelle d’Hydro-Québec à travers les rapports d’altérité véhiculés dans les discours de la société d’État. Un premier discours se veut rassembleur, ou comment Hydro-Québec participe à faire société. La société d’État s’inscrit ainsi de plein pied dans la mouvance qui s’installe au milieu du vingtième siècle pour tenter de définir le peuple québécois. Les préoccupations autour des valeurs de solidarité sociale via une redistribution de la richesse traversent particulièrement l’histoire d’Hydro-Québec. Hydro-Québec est aussi le lieu où peut être redonnée aux Canadiens français la place qui leur revient dans l’économie québécoise. De ce fait, la société d’État participe activement à la promotion du fait français en Amérique du Nord et de sa spécificité culturelle. Cette période glorieuse deviendra par la suite un objet mémoriel et un symbole d’unité de la société québécoise misant sur le rappel des grandes réalisations d’Hydro-Québec et leur inscription en continuité avec les réussites sociales de la Révolution tranquille. Un second discours identitaire met en perspective plus particulièrement le rapport à l’autre. Si un premier discours est centré sur la création d’une nouvelle relation face aux Anglo-canadiens, celui-ci évoluera vers un discours qui se veut de plus en plus inclusif et porteur d’un projet social commun. Le rapport aux Autochtones se fait plus complexe. Indifférente tout d’abord à la présence autochtone, Hydro-Québec se voit confrontée à leurs revendications. Avec l’avènement du développement durable, c’est la reconfiguration complète de leur prise en compte dans les projets énergétiques qui est entreprise, à travers laquelle s’entremêlent les questions de culture et d’environnement à l’évolution du contexte énergétique.

Voici un survol des observations menées par Savard sur l’instrumentalisation d’Hydro-Québec et de ses réalisations dans les discours politiques des dirigeants de la société d’État. Il pose un regard qui met perspective de quelle façon Hydro-Québec n’est pas qu’une simple entreprise publique qui doit fournir de l’électricité à ses clients domestiques et industriels, mais aussi comment ses orientations et à ses grandes réalisations sont chargées symboliquement. Peu de critiques peuvent être portées à l’ouvrage, sinon celles-là même que Savard identifie dans les limites de la recherche : la nécessité de sonder les représentations au sein d’autres groupes de la société, et de s’attarder d’une manière plus large à une histoire des enjeux énergétiques.

 

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Maude Flamand-Hubert

Je suis professeure adjointe en politiques appliquées à la forêt privée à la faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval. J'ai soutenu en 2017 ma thèse de doctorat, intitulée "La forêt québécoise dans la première moitié du XXe siècle : représentations politiques et littéraires" (cotutelle en développement régional à l'Université du Québec à Rimouski (UQAR) et en histoire à Sorbonne Paris-IV). Mes intérêts de recherche portent sur l'exploitation des ressources naturelles et les politiques publiques, l'histoire forestière, régionale et environnementale, le Québec au XIXe et XXe siècle, les représentations de la forêt et des milieux forestiers.

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