Réflexions autour de l’histoire environnementale québécoise

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Rivière Ristigouche, Saint-Alexis-de-Matapédia. Maude Flamand-Hubert.
Rivière Ristigouche, Saint-Alexis-de-Matapédia. Maude Flamand-Hubert.

L’histoire environnementale au Québec étant encore relativement récente, la question de sa définition demeure des plus pertinentes.

Peut-être particulièrement pour les jeunes historiens qui choisiront de travailler sur des objets environnementaux, sans nécessairement avoir été formés précisément en histoire environnementale, mais en étant inévitablement de plus en plus influencés par celle-ci (ce qui est mon cas). Je souhaite profiter de la tribune offerte par Qu’est-ce qui se passe pour présenter des pistes de réflexion qui permettront peut-être de voir (et qui sait de comprendre?), les différentes sources qui peuvent alimenter les chercheurs québécois, et plus largement francophones, en Amérique du Nord. J’introduirai cette réflexion aujourd’hui avec un retour sur la question historiographique, qui a déjà été réfléchie, mais autour de laquelle certaines zones d’ombre demeurent. J’insisterai plus particulièrement sur trois aspects : la situation des chercheurs québécois parfois en porte à faux entre les influences anglo-saxonnes et françaises; quelques interrogations linguistiques et sémantiques qui en découlent; et finalement l’enjeu multidisciplinaire qui s’immisce aussi dans la discussion.

En commençant à alimenter le blogue francophone du NiCHE, je suis retournée voir dans les archives ce qui y avait été fait précédemment, histoire de me rafraîchir la mémoire. Je suis tombée sur un courrier de Jessica Van Horssen mis en ligne en juin 2011… Se préparant à donner un cours sur l’histoire environnementale du Québec, elle posait la question sur la part à accorder aux textes fondateurs de l’histoire environnementale nord-américaine, et quelle place revenait à l’historiographie québécoise. Une historiographie qui, on le sait, n’est pas nécessairement identifiée à la démarche de l’histoire environnementale « traditionnelle », bien qu’elle pose néanmoins les bases des rapports entretenus par l’homme à son environnement, en retraçant la trajectoire de l’occupation du territoire et de l’exploitation des ressources sous ses différentes facettes. Cette question a déjà été posée et développée dans les articles qui ont composé un numéro spécial de la Revue internationale d’études québécoises Globe, en 2006 (1). Malgré tout, il semble encore y avoir place à la discussion autour de la question sur le rapport entre l’historiographie québécoise et l’histoire environnementale. Discussion qui ouvre notamment sur une autre question, abordée superficiellement dans ces articles : les influences d’une certaine tradition historique française. Ce n’est pas ici une occasion de plus de revenir sur l’ambivalence identitaire des Québécois entre le monde anglo-saxon qui l’entoure, géographiquement et intellectuellement, et ses liens linguistiques et historiques avec la Mère patrie… Mais on ne peut non plus ignorer totalement la double influence que subissent les chercheurs québécois, dualité entretenue de tout temps avec des degrés de porosité plus ou moins forts selon les circonstances. On peut notamment se questionner sur un certain « retard » que partagent le Québec et la France en histoire environnementale en regard de ce qui s’est développé du côté anglo-saxon au cours des dernières décennies. Et si, par ailleurs, l’américanité du Québec est un fait entendu, cet acquis est néanmoins remis en perspective dans le contexte de l’histoire environnementale. En effet, il a été démontré que la société québécoise (et plus largement celle de l’Est de l’Amérique du Nord…) a développé un rapport à l’environnement qui s’inscrivait dans une longue durée bien différente des temporalités accélérées de l’expérience colonisatrice de l’Ouest américain, pressé à repousser les « frontières ». Du coup, les problématiques à l’origine de l’histoire environnementale sont teintées par ces différentes temporalités entretenues avec l’environnement (Judd, 2006, p. 67-92).

Double décalage donc, vis-à-vis les problématiques « classiques » de l’histoire environnementale! Un décalage entre des écoles historiographiques multiples et un décalage entre une façon de vivre, d’aborder et de transformer l’environnement biophysique (le territoire et ses ressources) qui, en quelque sorte, participe à caractériser et définir l’histoire environnementale québécoise!

Par ailleurs, faut-il revenir à la question des différentes terminologies et de leur sens, entre une écohistoire ou une écologie historique, une histoire écologique ou environnementale, celle-ci ayant été efficacement abordée et d’une certaine façon résolue (Castonguay, 2006b, p. 18; Robert, 2006, p. 239)? Cela n’empêche pas que l’utilisation parfois indifférenciée d’histoire environnementale et d’histoire de l’environnement peut porter au questionnement. Fait-on une histoire humaine qui a pour fondement l’environnement, ou tente-t-on de comprendre l’évolution de l’environnement et son influence sur les sociétés humaines? Dans les deux cas, on peut répondre en affirmant que ce sont de toute façon les interactions entre les sociétés humaines et leur environnement qui se situe au cœur des problématiques de recherche. Cependant, ce retour sur les mots nous rappelle qu’il est parfois difficile de bien saisir si des termes différents expriment des idées différentes, ou si plutôt des termes différents réfèrent en fait à une même idée. Les similitudes entre l’histoire environnementale et la géographie historique sont certainement le meilleur exemple illustrant la difficulté à nommer communément certains phénomènes et la façon de les approcher (Judd, Richard, 2006, p. 78-79).

Cette question terminologique est d’autant plus pertinente lorsque des termes anglais font l’objet de traduction et d’appropriation dans les milieux francophones. Pour ne donner qu’un exemple, les débats sur l’utilisation du meilleur terme à employer en français entre développements durable ou soutenable pour traduire sustainable development illustre bien ce phénomène. Le développement durable se rattachant à une approche de la pérennité dans le temps des ressources, alors que le développement soutenable réfère plutôt à la limite d’un modèle de développement orienté vers la croissance. En un mot, il n’est pas toujours simple d’établir les ponts entre les mots et les concepts dont ils sont porteurs. Comment donc traduire de la façon la plus juste l’Environmental History? Doit-on traduire ou réinventer? (Et d’ailleurs, est-ce que ce questionnement est propre au français ou se rencontre-t-il aussi en langue anglaise? Une question posée peut-être un peu naïvement, mais sous laquelle il y aurait peut-être place pour une réflexion commune).

Et si les historiens de l’environnement en sont venus à un consensus, qu’en est-il de la perception des autres disciplines ou champs de recherche avec lesquels ils sont en interaction? Car l’histoire environnementale est par ailleurs interpellée également par les débats sur sa « légitimité », puisqu’elle risque le jeu de l’interdisciplinarité. Malgré les vertus dont sont revêtues les approches inter, multi ou transdisciplinaires, il demeure encore difficile de faire complètement tomber les barrières disciplinaires. Ainsi, comment aborder les interactions entre l’homme et l’environnement sans laisser aller totalement son identité disciplinaire? Les auteurs du numéro spécial de la revue Globe abordaient aussi cette question. Le rapport entre la géographie, et plus particulièrement la géographie historique fait maintenant partie intégrante de la réflexion sur l’histoire environnementale. On peut aussi évoquer plus largement la contribution d’autres disciplines, dont inévitablement les sciences de la nature, ou encore l’anthropologie et les études urbaines (Castonguay, 2006b, p. 37-42). Nous pourrions par ailleurs inclure aussi la sociologie, celle de l’environnement plus particulièrement.

En un mot, il semble encore y avoir de la marge pour interroger la situation de l’histoire environnementale québécoise de différentes manières afin de parvenir à en saisir les multiples dimensions. Je ne compte pas répondre à toutes les questions que j’ai soulevées ici, ni parvenir à une définition de l’histoire environnementale québécoise. Et encore moins remettre en cause le chemin déjà parcouru. Mais comme je l’ai dit en introduction, je profiterai de la tribune offerte par Qu’est-ce qui se passe pour présenter certains auteurs, des approches, des débats qui ont cours dans les milieux francophones. J’espère susciter chez d’autres l’intérêt à profiter de la tribune pour réagir et nourrir la réflexion!

(1) Globe : revue internationale d’études québécoises, 2006, vol. 9, n0 1 : Stéphane Castonguay, 2006a, « Penser l’histoire environnementale au Québec. Société, territoire et écologie », p. 11-16; 2006b « Faire du Québec un objet de l’histoire environnementale », p. 17-49; Richard Judd, 2006, « Approches en histoire environnementale. Le cas de la Nouvelle-Angleterre et du Québec », p. 67-92; Jean-Claude Robert, 2006, « L’histoire environnementale et l’historiographie du Québec », p. 237-255.

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Maude Flamand-Hubert

Je suis professeure adjointe en politiques appliquées à la forêt privée à la faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval. J'ai soutenu en 2017 ma thèse de doctorat, intitulée "La forêt québécoise dans la première moitié du XXe siècle : représentations politiques et littéraires" (cotutelle en développement régional à l'Université du Québec à Rimouski (UQAR) et en histoire à Sorbonne Paris-IV). Mes intérêts de recherche portent sur l'exploitation des ressources naturelles et les politiques publiques, l'histoire forestière, régionale et environnementale, le Québec au XIXe et XXe siècle, les représentations de la forêt et des milieux forestiers.

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