Le « paysage culturel patrimonial » : un nouveau venu dans la législation québécoise

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Le 13 avril 2006, l’Assemblée législative du Québec adoptait sa Loi sur le développement durable.

Principalement, cette loi vise tout d’abord à proposer une définition québécoise du développement durable et à établir les principes de son application au sein de l’État. Dans un deuxième temps, cette loi a pour objectif de fournir un cadre à tous les ministères et organismes publics afin que ceux-ci entreprennent respectivement un renouvellement de leurs politiques publiques ou de leurs pratiques. L’État québécois entend ainsi entreprendre un véritable virage collectif (http://www.mddep.gouv.qc.ca/developpement/loi.htm). Le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine (MCCCF) est l’un des ministères qui a pris le virage du développement durable à bras-le-corps. Dès le mois d’avril 2009, le MCCCF rendait public son plan d’action de développement durable. Un des faits saillants de ce plan d’action a été la réalisation d’un agenda 21 de la culture au Québec. Un autre objectif consistait en la préparation d’un projet de loi sur le patrimoine culturel. Ainsi donc, trois ans plus tard, ce 19 octobre 2012, la nouvelle Loi sur le patrimoine culturel est entrée en vigueur, venant ainsi remplacer la Loi sur les biens culturels qui datait de 1972.

En parallèle et non sans lien avec la tendance du développement durable, le MCCCF a mené sa démarche influencé par les avancées de l’UNESCO en matière de patrimoine, dont l’une des particularités consiste en un élargissement de l’entendement de la notion de patrimoine. Biodiversité et diversité culturelle cheminent ici main dans la main sous l’égide du développement durable. Plus largement, il y a ici une intention de voir la culture prise en considération dans la démarche de refonte législative d’autres ministères, ou dans le cadre des diverses actions gouvernementales. Nous ne les aborderons pas ici, mais on ne peut s’empêcher de penser au Plan Nord ou au nouveau régime forestier, des projets tournés vers l’exploitation des ressources à travers lesquels on tente tant bien que mal de prendre en considération les aspects culturels.

De son côté, la nouvelle loi redéfinit le patrimoine pour lui accorder une acception plus large, moins restrictive. Elle permet de la sorte l’insertion de la notion de « paysage culturel patrimonial » à l’intérieur du cadre législatif. La loi répond ainsi à la tendance mondiale en matière de reconnaissance des paysages comme éléments culturels fondamentaux. Au sens de la loi, un «paysage culturel patrimonial» s’applique à « tout territoire reconnu par une collectivité pour ses caractéristiques paysagères remarquables résultant de l’interrelation de facteurs naturels et humains qui méritent d’être conservées et, le cas échéant, mises en valeur en raison de leur intérêt historique, emblématique ou identitaire ». D’un point de vue législatif, les conséquences peuvent être importantes. Certains paysages, qualifiés « culturel patrimonial », pourront se voir doté d’un statut de protection, au même titre que les sites et monuments patrimoniaux. Au même titre, mais en vertu d’un processus et d’un partage des responsabilités distinct. Dans le cas des paysages, tant l’élaboration du processus menant à la désignation, que la confection du plan de conservation et le maintien des conditions du classement, relèveront des collectivités territoriales. Ainsi, ce sont elles qui auront la responsabilité d’analyser et de justifier la pertinence patrimoniale des paysages. Les collectivités souhaitant voir des paysages cités sur leur territoire devront par ailleurs s’être préalablement dotées d’une « charte du paysage culturel patrimonial ». Suivant l’avis favorable du ministre, elles devront ensuite délivrer un plan de conservation, précisant les mesures de protection, les utilisations économiques, sociales et culturelles prévues, et les projets de mise en valeur.

À l’ère des labels, la désignation des paysages est nécessairement attrayante pour les territoires. La sensibilité et l’acuité envers les transformations des environnements naturels et humains jouent en faveur de l’enthousiasme collectif à voir l’inclusion du paysage comme élément incontournable du patrimoine, et de son inclusion dans la loi. La place accordée aux collectivités dans le processus de désignation est pratiquement un incontournable pour s’accorder et respecter la logique du développement durable qui est, rappelons-le, à la base même de cette avancée conceptuelle en matière de patrimoine. Par contre, il restera à voir si, considérant la charge qui reviendra aux collectivités, celles-ci seront en mesure de mener les processus nécessaires à la réalisation de ces désignations et à leur maintien. Ou si, pour les rendre viables, les territoires visés doivent se restreindre à appliquer la notion de paysage à des caractéristiques paysagères bien circonscrites. Il faut dire que la loi reste vague sur la définition de la notion de paysage elle-même. En un mot, l’avenir nous dira comment cette intention de reconnaissance des paysages à titre de patrimoine culturel sera mise en œuvre, et ce qui en résultera autant du point de vue environnemental que social. (http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php…)

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Maude Flamand-Hubert

Je suis professeure adjointe en politiques appliquées à la forêt privée à la faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval. J'ai soutenu en 2017 ma thèse de doctorat, intitulée "La forêt québécoise dans la première moitié du XXe siècle : représentations politiques et littéraires" (cotutelle en développement régional à l'Université du Québec à Rimouski (UQAR) et en histoire à Sorbonne Paris-IV). Mes intérêts de recherche portent sur l'exploitation des ressources naturelles et les politiques publiques, l'histoire forestière, régionale et environnementale, le Québec au XIXe et XXe siècle, les représentations de la forêt et des milieux forestiers.

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